PENURIE D’EAU A DAKAR: Des déclarations à l’emporte-pièce


Cet article vérifie les propos tenus par les autorités de l’hydraulique du Sénégal de 2013 à nos jours (2018). Il s’agit du ministre de l’hydraulique et de l’assainissement, Mansour Faye, du directeur de la Société Nationale des Eaux du Sénégal (SONES), Charles Fall et celui de la Sénégalaise Des Eaux (SDE), Abdou Baal. Mais aussi des dires de Madame le Premier Ministre en 2013, Aminata Touré, et de ceux du Ministre de l’hydraulique d’alors, Papa Diouf. 

Le Sénégal est confronté à une pénurie d’eau. Celle-ci s’est intensifiée au courant de cette année. Bien que la pire crise hydraulique ait été en 2013, la situation semblait s’être stabilisée en 2015 et 2016. Les autorités sénégalaises ont tenu à rassurer les consommateurs et ont fait moult déclarations dans les médias.
Le 13 Août 2018, le ministre de l’hydraulique a inauguré le forage du quartier Nord Foire de Dakar. Il a indiqué aux journalistes que « la production totale de la nouvelle usine de Keur Momar Sarr (KMS 3) cumulée à celle de l’usine de dessalement des Mamelles sera entre 60 000 et 70 000 m3 par jour».
Un mois avant cette inauguration, le ministre s’était adressé aux internautes via un groupe populaire sur Facebook ‘‘T’es de Dakar si...’’.  « Il y a Kms3, avec 200 000 m3/j  et le projet de dessalement de l’eau de mer aux Mamelles pour produire 100 000 m3/j, ce qui fait un total de 300 000 mètres cube par jour».
Dans la récente déclaration, le ministre a indiqué une production de plus de 60 000  mètres cube par jour, un mois avant, il avait annoncé 300 000 mètres cube par jour. 
Et on ne saura exactement ce qu’il en ait  qu’après l’effectivité de ces projets pour statuer sur les débits exacts. 
Par ailleurs, un programme a été établi par le gouvernement pour l’alimentation en eau de Dakar.
Le Programme spécial d’amélioration de l’alimentation en eau potable de Dakar (PSDAK)
Le 28 Février 2018, dans les colonnes du journal Le Quotidien, le Ministre de l’Hydraulique et de l’Assainissement du Sénégal, Mansour Faye déclarait « avec le Programme Spécial d’Alimentation en Eau Potable de Dakar (PS-DAk), la capitale sénégalaise aura 60 à 75 mille mètres cubes par jour de production supplémentaire dès Juin prochain.

 Cette production additionnelle viendra des 11 forages qui sont en cours de réalisation à Tassette pour 30 mille mètres cubes par jour et 10 autres forages à Bayakh pour le même volume. Ces travaux ont mobilisé 15 milliards dans le cadre du Ps-Dak et 12 milliards, dans le cadre du Projet eau potable et assainissement en milieu urbain (Peamu), financé par la Banque mondiale … »
Cinq mois après avoir tenu ces propos, la capitale sénégalaise connaît toujours un déficit de 50 000 m3 dans son approvisionnement en eau potable, selon le directeur de la SDE, Abdou Baal, dans un entretien qu’il a accordé au quotidien Enquête, le 27 Juillet 2018. 
Au mois de Juin, le directeur de la SONES, Charles FALL, qui effectuait une tournée dans les sites qui accueillent le programme, a indiqué que  25 forages sont prévus dans le cadre du PSDAK, pour un coût de 30 milliards. « La phase de Bayakh sera mise en service, conformément aux engagements et aux instructions du ministre de l’Hydraulique, en mi-juillet, pour une production additionnelle de 15 à 20 mille m3 » a-t-il fait savoir. Sauf que le ministre avait déclaré Juin et non mi-juillet. En plus il avait déclaré une production de 30 000 mètres cube. 
Le ministre avait, par ailleurs, souligné que ces travaux ont mobilisé 15 milliards dans le cadre du Ps-Dak et 12 milliards, dans le cadre du Projet eau potable et assainissement en milieu urbain (Peamu), financé par la Banque mondiale, ce qui fait un total de 27 milliards et non 30. 
Nous avons contacté M Pape Demba Cissokho de l’équipe de communication du ministère de l’hydraulique qui affirme que dans le cadre du PSDAK, l’objectif principal est d’avoir 94 000 mètres cube par jour à partir des forages de Bayakh, Tassette et Thieudeum. Son montant s’élève à 8 milliards de francs CFA. 
Dans le cadre d’une visite de chantiers du directeur de la SONES en compagnie de la presse en Juillet, il a révélé que ce programme, piloté par la Société nationale des eaux du Sénégal (Sones), vise à «renforcer la production, améliorer la qualité de l’eau distribuée et sécuriser la fourniture d’énergie électrique».
Il s’agit notamment, de la réalisation de 11 forages sur l’axe Bayakh-Diender-Thieudème pour une production globale de 40 000 mètres cube par jour en deux phases pour 15 000 mètres cube/jour chacune, la réalisation à Tassette (40 km au Sud de Thiès) de 10 forages pour une production de 25 000 mètres cube par jour. Il confirme les 21 forages de départ.
Sur la formulation du projet qui devrait être fini en Juin 2018, le ministre avait évoqué un total de 21 forages pour Bayakh et Tassette pour une quantité de 60 à 75 mille m3 par jour. Dans la récente déclaration du directeur de la SONES, il s’agit d’un projet en deux phases de 21 forages et pour une production d’un total de 40 000 mètres cube par jour.
  
 Initialement prévue en Juin 2018, la réalisation des forages du PSDAK, est toujours en cours présentement (Août 2018). 
À l’issue de la visite, le DG de la SONES, Charles Fall a relevé que, sur le site de Bayakh, les travaux de la première phase dudit programme ont atteint un taux d’exécution estimé entre 95 et 98%. Il ajoute que cette première phase, qui consiste à réaliser à Bayakh, 5 forages, un réservoir d’eau, une station de pompage et la pose de conduites d’eau sur un linéaire de près de 20 kilomètres, permettra à la Sones de mobiliser près de 22 000 mètres cube d’eau par jour. 
La réalisation effective du projet est prévue à la fin du mois de Septembre.
Le coût des projets, la grosse équivoque 
Un groupe populaire sur Facebook dénommé T’es De Dakar Si (TDD) a réalisé un direct Facebook avec le ministre de l’Hydraulique Mansour Faye, en Juillet. Le ministre justifiait la pénurie d’eau en ces termes : « C’est parce qu’au départ, le Sénégal avait un problème de planification, mais maintenant, on a planifié. Il y a Kms3 et l’usine de dessalement de l’eau de mer. Si tout cela marche, d’ici 2035, Dakar n’aura plus de problème d’eau. Nous faisons des projets structurants, avec beaucoup d’investissements, 500 milliards ».
En 2016, le DG de la SONES, lors d’une entrevue accordée au quotidien national Le Soleil, avait déclaré que « de 2013 à 2016, l’Etat du Sénégal a mobilisé plus de 449 milliards de F CFA, répartis comme suit : 272 pour Keur Momar Sarr 3 (KMS3), 135 pour l’usine de dessalement, 25 pour le Peamu, 11 pour l’amélioration de la qualité de l’eau dans le bassin arachidier et la banlieue et 6 pour la sécurisation des ouvrages névralgiques.  Je n’ai pas tenu compte du PEPAM (41 Milliards), des programmes d’urgence et d’autres investissements sur fonds propres… »
Ci-dessous la revue (2018) annuelle sectorielle conjointe du ministère de l’hydraulique et l’Assainissement. Dans la section réservée à l’accès à l’eau potable, la revue fait état dans sa page 29 du portefeuille des opérations dans l’hydraulique urbaine de 1996 à 2017 : 

A partir de cette capture d’écran, on voit bien que l’Usine de dessalement des Mamelles est de 147 milliards F CFA, KMS 3 à 274 milliards. Ces chiffres sont complétement en déphasage avec ceux avancés par le DG de la SONES lors de son entrevue.

Les chiffres non conformes des branchements sociaux
Le rapport de Responsabilité sociale et environnementale de la SDE, parue en Mars 2018 mentionne que «  Au cours des cinq dernières années, 53 793 branchements sociaux et 276 691 mètres d’extension ont été réalisés ».
La revue sectorielle annuelle du ministère de l’hydraulique (2018), dans sa page 35, a représenté sous formes de diagramme évolutif les branchements sociaux :




Dans les cinq dernières années (période allant de 2013 à 2017), les branchements sociaux réalisés sont de 48 956 (après avoir fait le total). Ces résultats remettent en cause les chiffres de la SDE. 

La crise de 2013
Le Sénégal a connu une grande crise hydraulique en Septembre 2013, un tuyau à Keur Momar Sarr avait explosé. 
C’est suite à cela que Madame le Premier Ministre de l’époque, Aminata Touré avait émis ces propos : « La situation est tout simplement inadmissible. Rester des jours et des jours avec des quartiers entiers de Dakar sans eaux, ce n’est pas normal. Toutes les responsabilités seront situées en vue de sanctions  et  cessation de contrat ».
A ce jour, aucune sanction n’a été prise. Aucun contrat n’a non plus été résilié.
La crise de 2013 avait suscité un point de presse de la part du ministre de l’hydraulique de l’époque. Il déclarait qu’un audit de la conduite de Keur Momar Sarr est en cours, et qu’il sera disponible.
La cellule de communication du ministère de l’hydraulique a indiqué que le rapport existe mais est scellé « CONFIDENTIEL », elle nous a orientés vers la SDE.
Le rapport publié par le SDE fait état «d’une surpression découlant d’un coup de bélier, donc un incident d’exploitation ». Une autre raison a été évoquée dans le rapport. Elle met en cause la fragilité de l’élément de tuyau en Y par suite de «corrosion». Compte tenu de l’âge de la conduite (9 ans), celle-ci ne pourrait être qu’une «corrosion électrochimique du fait de contact entre deux métaux différents (Fonte ductile/Acier) produisant un effet électrochimique appelé «effet de pile». Les experts notent également qu’il n’y avait pas de joints isolants dans le tuyau.

Il indique aussi que cet incident est le «cinquième du genre et au même endroit depuis la mise en service des installations en décembre 2004». Ils soutiennent également que les responsabilités sont partagées entre la SONES et la SDE.

La directrice de la SONES, avait appuyé la thèse de l’accident d’exploitation lors d’une interview, et qu’il ne s’agit pas de la faute de la SONES. 
Néanmoins, La SDE semblait avoir pris le problème à bras le corps, à travers une correspondance adressée le 15 mars 2013 (six mois avant l’incident) à la Sones. Le texte fait l’historique de la récurrence des incidents en faisant d’abord état d’une fuite, en janvier 2009, sur la «culotte 800/500 mm» alimentant les anti béliers dans la partie sous butée de la conduite. La même fuite a été constatée en octobre 2010 cette fois sur la colonne DN 500 mm de remontée des anti béliers. Il s’agissait selon la correspondance de la SDE d’un percement de la conduite suite à une corrosion avancée dont la réparation avait été faite par la soudure d’une plaque.

Novembre 2012, une fissure advient sur le piquage DN 800 mm qui alimente les ballons antibéliers. Il s’agirait précisément d’une fuite perpendiculaire au cordon de jonction des conduites DN800 mm et, cinq mois plus tard, la même fissure, sur le même piquage…

Soit en neuf ans seulement de fonctionnement, quatre incidents majeurs avec des fréquences de plus élevées sur cette partie de l’installation de l’Usine KMS.
Soulignant des risques réels d’usure irréversible de la canalisation qui conduirait à un arrêt complet de l’usine de production d’eau, la correspondance de la SDE concluait son texte en insistant sur le caractère «sensible et prioritaire de cette affaire » qui, ajoute le texte, «devrait être traitée avec une extrême diligence».
Le débat se pose dès lors pour situer les responsabilités entre la SDE et la Sones tandis que le contrat d’affermage qui lie les deux parties série bien les responsabilités et autres obligations de l’une comme de l’autre. Selon les termes du contrat d’affermage, les investissements pour le renouvellement et la réhabilitation du réseau de distribution et des branchements sont du ressort de la société d’exploitation (SDE). Ainsi celle-ci est tenue d’assurer les investissements nécessaires pour le renouvellement du matériel d’exploitation, des canalisations, outre les branchements et les équipements électriques et électromagnétiques. Pour tous ces renouvellements, des obligations ont été définies dans le contrat de performance en termes de kilomètres de canalisations. Mais quand les investissements sont supérieurs à 15 millions FCfa, c’est du ressort de la SONES, selon les termes du contrat.
Le tuyau défectueux a eu une durée de vie courte (9 ans). Elle doit être, pour  des conduites en fonte et en acier 50 ans et pour celles en amiante, en ciment et en PVC, de 30 ans. Selon le décret N°84-1130 signé le 04 octobre 1984 par le Président ABDOU DIOUF. En effet, de tous les ouvrages de la SONES, sont assujettis à une contrainte d’application d’un « Cahier des Charges » dénommé « Cahier des Clauses et des Conditions Générales du service public de l’eau et de l’assainissement ».
Un ancien professeur d’Hydraulique de l’école polytechnique de Thiès, Pr Aliou Diack s’est d’ailleurs demandé « Comment dès lors, qu’une conduite neuve en fonte ou en acier qui devait durer 50 ans, puisse se fissurer plusieurs fois en l’espace de 9 ans alors que la garantie décennale est en cours de validité ? »
Conclusion
En définitive, depuis 2013, Dakar connait une pénurie du liquide précieux. Les autorités ont, de ce fait, tenu des déclarations non sourcées et des promesses non respectées dans les médias. La confrontation des déclarations a fait ressortir des contradictions notamment en ce qui concerne la production totale des usines de Keur Momar Sarr 3 et celle de dessalement d’eau de mer des Mamelles. Le ministre de l’hydraumique et de l’assainissement a, dans un premier temps, avancé 300 000 mètres cube par jour ; puis dans un second temps, il a  indiqué plus de 60 000  mètres cube par jour. 
Le programme spécial d’amélioration en eau potable de Dakar, a aussi suscité autant de contradictions, de la part du ministre et du directeur de la SONES, quant à son coût que dans sa productivité. Le ministre avait indiqué la fin des travaux pour juin, mais il est toujours en cours. 
La revue sectorielle du ministère de l’hydraulique et de l’assainissement a fait ressortir le nombre de branchements sociaux au cours de ces cinq dernières années. Contrairement aux chiffres avancés par le directeur de la SDE, la revue fait état de 48 956 branchements sociaux.
En 2013, lors de la crise hydraulique, le gouvernement avait promis de sanctionner et de faire cesser des contrats. Mais rien a été fait, l’audit technique réalisé est scellé ‘‘CONFIDENTIEL’’ au niveau du ministère de l’hydraulique. 
La cause de cet incident a été désignée comme accident d’exploitation, mais la correspondance de la SDE adressée à la SONES six mois avant l’incident, renseigne sur le fait que la SONES a fait la sourde oreille…
Ndeye Fatou Diery Diagne

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